Historique de la congrégation Notre Dame
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Faire mémoire des origines…
Une date, une époque
Son époque : une époque troublée, le tournant d’un siècle. L’Europe occidentale a été traversée par l’humanisme de la Renaissance, secouée par la Réforme protestante. Le Concile de Trente s’est clos en 1563, appelant l’Église à se réformer intérieurement et à renouveler son élan missionnaire.
Les problèmes de son temps – relâchement des mœurs, injustices sociales, ignorance religieuse – Pierre Fourier les retrouve dans ce bourg des Vosges, Mattaincourt. Il se donne pleinement à l’évangélisation de sa paroisse. Pour lui, l’annonce de la Parole de Dieu ne peut se dissocier du service des hommes et du souci des pauvres. Être curé, dit-il, c’est « vivre avec » ses paroissiens. « Je me sens obligé de leur obéir, leur étant, comme curé, redevable de mes voyages, de mes veilles, de ma présence, voire de ma vie propre s’il était besoin de l’exposer pour eux ».
Il mène de front renouveau pastoral et amélioration de la condition sociale. Certaines de ses initiatives restent singulièrement actuelles. Un point le préoccupe : l’instruction et particulièrement celle des filles, alors très négligée. En cette même année 1597, Pierre Fourier rencontre Alix Le Clerc. Née en 1576 à Remiremont, elle a entendu l’appel intérieur à convertir sa vie, puis à fonder « une maison nouvelle… pour y pratiquer tout le bien que l’on pourrait ». Trois compagnes la rejoignent. Pierre Fourier leur propose de travailler à l’instruction des filles. En 1598 s’ouvre à Poussay, proche de Mattaincourt, la première école de Lorraine, gratuite, pour les filles.
Un projet hardi
Il est exprimé dans le texte fondateur de la Congrégation de 1598 :
« Notre but est de dresser des écoles publiques et y enseigner gratuitement les filles à lire, à écrire, à besogner de l’aiguille, et l’instruction chrétienne ».
Des écoles publiques, c’est-à-dire des écoles ouvertes aux élèves externes, « tant pauvres que riches ». On ne se contentera pas d’y enseigner le catéchisme et par surcroît la lecture et l’écriture – perspective assez courante à l’époque. Ces écoles assureront de pair éducation chrétienne et formation humaine, enseignement, apprentissage d’un métier. Pierre Fourier en résume ainsi le projet :
« … Instruire diligemment les petites filles à lire, écrire, travailler et connaître Dieu ».
Ce seront des lieux de croissance de la personne. Les filles deviendront par l’instruction plus aptes à agir dans la famille et dans la société. On les aidera ainsi « à vivre et à bien vivre ».
Ce dessein « être à la fois religieuses et maîtresses d’école » apparaissait alors inconciliable avec la stricte clôture, renforcée par les décrets du Concile de Trente. Il faudra attendre 1628 pour obtenir l’approbation des autorités romaines.
Un esprit, une pédagogie
Ce qui unifie toute la conception de cette éducation, c’est le regard attentif porté sur l’enfant : respect, affection, compréhension, réalisme, largeur d’esprit. Chacun est considéré comme unique, reconnu dans ses possibilités comme dans ses limites.
« On exercera les écolières discrètement, selon les occasions et leur capacité. »
« Les maîtresses ne se dépiteront contre celles qui auront de la peine d’apprendre. »
« On aura spécialement égard à ce que les filles qui sont ou pauvres ou de médiocre condition soient toujours instruites aux heures les plus propres pour elles… »
Pierre Fourier écrit en 1624 (il s’agit des enfants de familles protestantes) : « s’il s’en trouve une parmi les autres, traitez-la doucement et charitablement, ne permettez pas que les autres la molestent ou lui fassent quelque reproche ou fâcherie. Ne lui parlez directement contre sa religion ». Et il ajoute qu’on lui donnera en récompense non pas des images pieuses qui pourraient la choquer, mais « quelques papier doré, quelque belle plume à écrire ».
« Que les écolières vivent joyeuses et bien contentes… »
« On n’y supportera ni hautaineté, ni affectation ou singularité… »
« Les écolières prendront garde surtout qu’elles n’offensent ou méprisent aucune de leurs compagnes, pour petite ou pauvre qu’elle soit … et vivront par ensemble en bonne paix et en bonne amitié. »
En ces premières années du 17ème siècle – rappelons-nous les pages de Montaigne sur les écoles de l’époque – Pierre Fourier et Alix Le Clerc font vraiment, en ce domaine de l’éducation, figure de pionniers. Ils organisent la vie scolaire, établissent un programme adapté aux besoins du temps, créent un climat éducatif de joie, de simplicité, de charité où l’Évangile pourra être entendu.
A la source, une manière de vivre l’Evangile
Au cœur même de leur expérience de Dieu, Pierre Fourier et Alix Le Clerc ont vécu profondément la réalité du mystère de l’Incarnation. Ils ont insisté avec un accent particulier sur l’humanité du Fils de Dieu, fils de Marie. Dans cette contemplation des « actes et dits » de Jésus-Christ « lorsqu’il était visiblement conversant en ce monde » (dans le langage du temps, « converser » doit s’entendre comme « vivre avec »), ils ont appris peu à peu le regard de Dieu sur l’homme.
Les religieuses de Notre Dame s’appellent aussi, depuis leur rattachement à l’Ordre canonial en 1628, chanoinesses de Saint-Augustin. La Règle de vie augustinienne les enracine dans une tradition spirituelle : liberté dans la charité, accent mis sur le désir, l’humilité, la joie, dispositions essentielles qui ouvrent, élargissent le cœur en créant « un espace pour Dieu » selon le mot même de Saint-Augustin et qui s’expriment dans une manière d’aborder autrui. Écoute, attention aux personnes dans le respect des différences : c’est l’attitude fondamentale de l’éducateur.
On apprendra aux écolières « à vivre et à bien vivre ». Les religieuses de la Congrégation Notre Dame se reconnaissent toujours dans cette phrase de Pierre Fourier, en se voulant aujourd’hui « attentives à la vie, à ce qui la fait naître, à ce qui la fait croître, à ce qui la libère, prêtes à dénoncer tout ce qui la détruit ».
Ainsi s’explique la diversité de leurs enracinements, en Amérique Latine, Afrique, Asie, Europe…
L’esprit de Pierre Fourier – aider l’homme à devenir pleinement lui-même – reste singulièrement actuel.
À travers les immenses besoins de notre monde, chacun, croyant ou non, peut en entendre l’appel.
Sœur Paule Sagot